jeudi 28 décembre 2006

Un souffle plus loin


"Un beau visage est le plus beau de tous les spectacles ; et l'harmonie la plus douce est le son de voix de celle que l'on aime."

La Bruyère, Les caractères… des Femmes


L'art est votre visage, mon aimée.
Et ma douleur, aussi.


Paris, le

Mon ami,


Demain je mourrai de mes intrigues et sans regret, comme une femme vous ayant aimé. Et le sort qui m’attend m’indiffère, c’est à une autre qu’ils couperont la tête. Mon âme est morte, il y a bien longtemps, en vous.

Ici, les murs noient ma lucidité. Comme mon orgueil face à votre amour, le temps approche l’éternité. Ma cellule est un dôme aux murs qui suintent, au plafond si haut que je ne peux m’y pendre, aux pavés si froids que mes pieds nus se relèvent, effleurent, n’osent toucher la fine pellicule d’eau qui recouvre le sol. C’est une vision étrange que mon amour pour vous, mon ami, une image que la nuit fatigue, tend à l’extrême, et qui donne une acuité particulière aux choses premières, si proche de la folie, si lucide.

Mes mains sont écarlates, mes vertèbres se cristallisent au froid, à mes souvenirs. Mes sentiments se décuplent plus que je ne saurais l’imaginer tout à fait, et je pleurs comme seule expression de mes sentiments. Ma peau toute entière s’égraine du peu de lumière et de la largeur du temps… Oh ! mon amour, les mots se dépouillent, me demandent tant d’efforts, m’imposent l’honnêteté.

Je respire, lâche. Et j’attends.


***

Je perds la vie, et vous l’amour. Mais la sentence exécutée nous rend libre de nos chimères, de nos mensonges et de mes détresses. Ne me tenez plus rigueur de la liberté qui m’est ainsi offerte.

A trop me protéger, j’avais oublié jusqu’à votre amour, jusqu’à votre premier amour... jusqu’à vos mots. Je fus si pathétique que je vous abandonnai à une autre. Souvent mes lèvres frémirent, souvent je me suis retenue de vous le dire, dans une étrange pudeur, dans mon incrédulité aussi à éprouver un sentiment, à vous aimer. Ce paradoxe est étrange : vous m’offriez un présent que je ne pouvais accepter, et je meurs de n’avoir pas eu ce courage.

Sans doute son apparente fragilité était sa force, et mon impatience à la faire souffrir, ma propre faiblesse. Ou bien, était-ce de vous aimer plus que je ne le pouvais. Je m’étais pourtant résignée à vous perdre.
Nous nous sommes quittés bien lamentablement.

***

Nous avions retrouvé ensemble notre liberté d’infidélité. Je n’imaginais aucune rivale, non pas à mon corps, mais à mon cœur, aux sentiments échangés, à l’émotion qui vous soufflait alors à mon oreille les phrases amoureuses.

Nous ne nous parlions plus, nos corps étaient épuisés. A trop vouloir jouir, nous avons perdu ensemble cet instant précieux, notre rupture. A l’image de cet échec, votre amour se détruisit.

***

Je me souviens… Je me souviens de ce lit défait sans passion, de ces restes éparpillés, presque pliés, sombres, timides. Nos vêtements étaient timides. Vous observiez mon corps une dernière fois. Je m’habillais pour vous, je me coiffais, déjà sans vous.
Sans un mot, un seul baiser sur mes cheveux, vous êtes partis.
Je m’arrêtais – je me suis arrêtée. Ma douleur fut si douce, lointaine, si ample qu’elle me drapa lentement de sa lumière. Et j’ai vieilli.
Loin de vous, j’ai vieilli.
Moi aussi, j’ai aimé, puissamment, fébrile...
Oui, je vous aimais, avec ardeur et sang.

***

Mais qu’est-ce que l’intimité ? Partager les vagues ? Partager notre cœur ou notre esprit ? Rien de tout cela en vérité, je vous l’écris, c’est se mêler. Plus que s’unir, c’est se perdre, se dissoudre, dans le temps de l’autre - se retrouver, se réveiller plus loin, souvent en deçà de soi-même.
Aimer, est-ce renoncer à exister, presque se trahir ?
Aimer, c’est se décevoir dans le temps. L’ennui, le quotidien où nous espérons échapper aux modalités de l’existence, à notre propre banalité. Et sans plus de conviction, nous vieillissons. Notre amour nous devance, il vieillit avant nos rides, c’est lui-même qui nous exécute.
Rire et mourir : la vie donne des promesses inaccessibles que nous feignons de croire. L’amour : effondrement, chute de la jouissance. Aimer n’est rien sans la jouissance – et pourtant, le plaisir n’est pas tout. Etrange dissonance où, moi aussi, j’ai cru à l’éternité. Qu’ai-je donc perdu à ne plus croire, à perdre cette foi ?
En vous, ai-je perdu les palpitations de l’amour ? Vous ai-je jamais aimé par négligence, par habitude, parce que nous nous nous aimions, parce que nous nous sommes aimés ? Et que m’importe le reste si nos souvenirs perdurent. Ils ne sont peut-être pas si loin, encore intouchables. Existe-t-il un âge où il n’est plus permis d’aimer, ni même d’espérer se retrouver, au-delà des rides ? Aimer, jouir encore une fois, au-delà , dans la tendresse, est-ce illusoire ? Mais la jouissance n’est rien de plus que la séduction : est-ce cela… n’est-ce que cela ?
La jouissance dans l’amour n’est rien qu’un refuge puéril sans le bonheur. Je me suis mentie, parce que j’aimais, plus loin que le plaisir ou la séduction, je vous aimais. Sans rêve, l’amour n’est rien. Il n’est plus lucide, il n’espère plus, ne jouit plus. Sans rêve, l’amour devient distrait. Mais j’espère toujours, et c’est là ma tristesse, malgré demain, malgré votre abandon.
Je me suis cachée à vos yeux, amoureuse, j’ai renoncé à exister, j’ai déçu vos propres fragilités et vous vous êtes fié à mes rires. Mais, derrière nos habitudes, nous dissimulons notre vie, nous parachevons le regard des autres dans une pudique lâcheté.

***

Et ce fut le soleil, le charme, la beauté, l’indifférence au mariage, comme le cristal. Si belle, que je voulais la protéger, si pure, propre à la rupture, déchirée, une étincelle d’eau, inconsciente d’elle-même. Mais que pouvais-je répandre ? Vous-même ? L’éducation du plaisir ? Elle transfigura mon regard de son émotion. Elle n’aimait pas plus les hommes que son propre sexe – elle attendait, vivait votre amour comme je ne pourrais le vivre jamais. Et j’ai su que vous vous aimiez, que la liberté réclamée était vouée à l’enchaînement de son âme.
Oui, je le compris à la croisée de ses yeux, de vos yeux… de votre regard glissant sur son sourire…



La foule se répartissait en de petits groupes bruyants, hypocrites et hilares. La musique, le bal, distillaient une atmosphère irréelle, couvrant les banalités des conversations, je naviguais d’invités en invités, de compliments en attentions. Et je me suis approchée de vous, je vous observais, sans perdre les intonations de votre amour naissant.
Elle dormait si loin, dans le salon orange, éteint, lentement diffuse, ses cheveux éparpillés, échappés d’un chignon approximatif. Et vous osiez lui sourire. Elle semblait vous parler, dans un souffle, en de petits gémissements presque inaudibles. La lumière donnait à sa peau des reflets, et son visage, doucement régulier, harmonisait ses joues, son nez… sa bouche respirait en un doux souffle court… repliées, mordillées, ses lèvres se tendaient déjà vers vous.
Et vous l’avez couverte, de peur qu’elle n’ait froid - la première attention forge l’amour, n’est-ce pas ?
Elle dormait et vous osiez lui sourire, et elle vous répondait de sa beauté, simplement belle, je respire par elle. Il ne me sembla pas en cette nuit exister de plus belle intimité, celle qui rend heureux, celle qui vous exclue de la vie.
Elle se réveilla pourtant à vos gestes timides, amoureux et chastes, qui osèrent enfin la toucher. Sa main caressée, quels ont été vos mots pour la séduire ? Je les entends encore aujourd’hui me faire souffrir… Quelle chose me donna le vertige : les mots, le tutoiement soudain ? J’ai titubé, chancelé, au rythme de votre amour, j’ai chaviré à l’impudeur de vos premiers mots.

***

… Je voulais étreindre ma bouche sur vous, entière, pleine, et vous mentir d’amour, vous séduire… Mais je ne peux que vous couvrir de mes larmes et espérer que vous les éclatiez de votre rire… Je veux simplement caresser de mes doigts vos lèvres, et enfin aimer… aimer plus que le bonheur, le souffle plus que les mots…
Oui, je rêve au doux silence de votre présence, à la douce pensée de vous voir endormie dans mes bras, vous si belle, à mes côtés…
Oui, je rêve de notre intimité,
Intimité, je l’écris comme amour,
Intimité, si désirable, si belle, si profonde,
Tant espérée devant trop de lassitude…

Oui, je rêve de vous posséder,
Je rêve à votre voix qui se couche lascive dans mon oreille,
Qui frémit de votre caresse…
Votre voix, si sombre, si dense, si émue…
Et ma bouche hésite, se dénude, peu à peu…

Oui, je rêve de notre intimité,
Celle passé, celle futur, celle que je ne veux décrire
Celle où je vous aime, endormie…
Celle où nous nous aimons…
Donnez-moi votre nez,
Donnez-moi vos yeux,
Votre front,
L’essence de vos cheveux…
Donne-moi tes lèvres,
Donne-moi ton nez
Donne-moi tes yeux
Ton front
L’essence de tes cheveux
Donne-moi tes doigts
Ton âme ton être
Donne-moi toi
Donne-moi ton oreille
le lobe de ton oreille
Donne-moi ton bras
tes seins
les cieux de tes reins
Donne-moi ton nez
Donne-moi tes dents
Donne-moi tes cils
tes paupières tes pommettes
tes paumes ton île
Donne-moi tes jambes
ton ventre ton antre
Donne-moi tes rides
Ces rides quand tu ris
et la mèche
la mèche de ton sourire
Donne-moi tes doigts
ton âme ton être
Donne-moi toi.
Oh ! tes lèvres, tes doigts, ton âme, ton être, toi… le lobe de ton oreille, tes seins, tes jambes, ton visage, le grain de ta peau… et ton antre, ton rire, et les rides de ton rire… et la mèche de ton sourire…
Au mur de son silence, le bruit de la foule, vos yeux se sont fermés d’attendre. Mais elle vous répondit. Insensible à son vol, elle perça mon cœur de son sourire, caressa, naturel douloureux, votre visage.

Et moi, que puis-je vous dire ? Je vous aime. Bien avant votre amour, je t’aime… Certaine d’être à toi, un jour… Certaine t’entendre le souffle même de ton amour… Le bonheur simple d’exister dans tes yeux… de chérir tes yeux… Avant ma propre conscience, je t’aimais… avant même d’exister, je t’aimais… Nos cœurs sont destinés l’un à l’autre… à se nourrir de l’autre… à vivre et à chanter… Ce soir n’est que la révélation de notre amour.

Plus tard, seule, dans le noir de mes appartements, j’ai pleuré, suffoqué, sangloté, trébuché, saccagé.

***

Il fût un temps où j’existais pour vous, où mon rire ne charmait que vous. Seul, vous regardiez mon âme, et vos doigts se perdaient en moi... et autant que moi, ils y prenaient du plaisir, avant...
Je vous protégeais de mon corps, toute entière... L’intimité n’existait que pour nous, qu’en nous... Vous me caressiez durant l’amour, vos mains se répandaient sur ma peau, un plaisir en plus de étreintes... Je souffle encore ce bonheur, de cet amour pour vous, malgré moi, malgré tout cela. Mais j’ai vieilli et votre amour aussi... Aujourd’hui, je m’exécute plus que je ne jouis. Mon amour est devenu pudique, le vôtre s’est alourdi.
Nous ne nous regardions plus, tout simplement.
Pourtant, j’ai connu votre amour, le premier jour.

***

Il bruinait légèrement dans le soleil du petit matin et je marchais pour le plaisir dans les rues animées, parmi les enfants et les marchants ambulants, un ange, un colporteur de musique… Vous me suiviez, n’osiez vous approcher plus que du regard. Vos pas étaient hésitants et votre cœur tremblait si fort que j’ai connu ses pensées.

Elle ajuste son col à sa voix écharpée, et ses doigts, au passé. Son émotion n'est plus fixée sur elle-même, et sous ce porche, sous l'eau de septembre, elle se dénude encore en été sous mon regard, voyeur.
« Elle est belle, avec ses quelques rides de la quarantaine. Elle est belle, si pleine, si digne, fine, et maintenant libre… Sa tristesse apparente est noble, profonde à l'épure, affinée de toutes scories de romance.
« Elle a quitté ce porche comme on quitte un homme, et marche en pluie... Et je la suis, inconnu. Je l'imagine, façonne son histoire, sa douleur : délaissée, tristement délaissée d'un amant trop jeune ; je n'existe pas… pas encore.
« Elle me sourit, presque seule, hoche la tête et tourne ses cheveux... Belle, qu'elle est belle, belle à la méditation. Nue de cœur et de pensées fébriles, fidèles - elle semble prier. Mon épaule se languit déjà d'elle...

***

Le souvenir de vos premiers mots, de votre douce lettre, me donne encore le rire du bonheur. Ce message ne quitte plus ma poitrine, mes seins s’accroche encore au plaisir de vos mots. Je mourrais en vous lisant, demain. Votre voix s’unira à la mienne. Elle résonnera dans mon âme, jusqu’à la fin.

Mon incertitude d’aimer, Mon amour en devenir,
Chaque journée, vous passez et j’aime à vous regarder. Le paysage de votre visage me revient dans un souvenir d’un amour de gamin. Vos rêves et vos gestes, votre chevelure et votre corps imaginé sont ceux d’une personne passionnément aimée. Chaque instant vous enlève et vous rassemble.
Je vous aime.

***

Oh ! mon amour, je vous revoie, debout dans mon l’antichambre, droit comme un soldat, mûr comme un fruit, le bruit de votre cœur à porté de main. Je ris en demi-teinte, je tourne, tout autour de vous, vous êtes ma proie, vous, et l’amour…

- Quels mots doux allez-vous encore inventer ? Croyez-vous pouvoir me séduire, avec des mots, et vos seuls grands yeux, et votre cœur tendre ? Comme un amour paresseux ? Comme pour une femme trop jeune… ou déjà vieille ?
- Mes mots, ne sont que le reflet de mon désir, de vous. La séduction n’est rien si ce n’est que pour vous plaire, et non pour aimer. Vous connaissez mon cœur – et le cœur ne peut mentir, ni même trahir…
- Les mots ont été créés pour nous dissimuler aux regards d’autrui. Ils cachent nos pensés : êtes-vous si pur, si beau que votre cœur ne se distingue en rien de votre esprit, de votre chair ? N’êtes-vous pas comme nous tous, multiple ? M’aimez-vous comme un seul, unissant dans un accord parfait votre sang, votre cœur et vos pensées ?
- Dois-je défendre ma sincérité ?
- Oui, avec acharnement…
- Seriez-vous là à m’observer, si vous n’aviez pas reconnu en moi le son de la sincérité ?
- Vous raisonnez…
- Dois-je seulement toucher votre cœur et non votre esprit ? Séduire et aimer : est-ce incompatible ?
- Vous raisonnez…
- Les mots sont futiles, inutiles, s’ils ne se gravent pas dans votre cœur ; et je serai dès lors comme eux : une sonorité vide de sens, de sentiments...
- Vous raisonnez, encore…
- Dois-je me taire pour vous aimer ? Et si mon cœur crie malgré moi, que puis-je faire : renoncer ? ne plus vous désirer ?
- Toujours, vous raisonnez... Vous parlez trop.
- Que cachent mes mots… Que cachent-ils si ce n’est mon amour unique… ? En vous, je me perds – et je me révèle un seul… Que veulent-ils, Marquise ? … Que veulent-ils donc ?
- Mon corps.

Dans ce souffle, si prés de votre oreille, j’ai respiré jusqu’au grain de votre peau, embrassée, légèrement, anéantie dans vos bras, je me suis laissée faire, blottie au creux de votre épaule.

***

Calfeutrée dans vos bras, sereine, vous m’observiez, endormie, détaillant de vos mots ma beauté. J’étais belle dans vos bras, Matthieu… belle, bercée par vos yeux… belle, au doux murmure de votre voix…

Immobile dans son silence, une larme, elle s'endort, calme et souple dans l'amour, le long de ses rides d'enfant... et son rire, drapé par la lumière d'octobre... le désir immortel, la digne, la coquette… Oh ! Ta peau confond son grain à ma vie et les mots sont silence. Tes mains me fredonnent notre naissance... Nu, je suis habillé de toi... J'ai chaud à ma vie.
Je vois... je vois, dans l'incertitude de tes yeux, l'éblouissement, la vie inhumaine, la poésie... et encore perte, rupture, et toutes les cicatrices d'avant… Il y a des mots qui ne peuvent soutenir ton regard...
- A quoi pensez-vous ?
- Je ne pense pas. J'admire.

Naturellement, d’une simple histoire je suis tombée amoureuse, de vous.

***

Vous souvenez-vous de ce jour d’octobre où, parmi les arbres morts, à la supplique de vos yeux, je vous ai parlé, si peu.

- … Je parle, toujours je parle… mais vous ne dites rien, jamais… Et pourtant, j’ose croire à l’expression de votre amour… Votre regard, le battement même de vos paupières… vos lèvres... tout cela ne m’aime-t-il pas ? … Mais votre langue ne se délie jamais, pour moi… Vous parlez, mon amour… de nous – de moi surtout… Et de la vie : mais jamais un mot sur votre cœur… Mes silences sont plus éloquents que vos phrases, plus intimes… Mon amour, je ne suis pas dupe que l’écoute de mes silences est un prétexte pour vous à ne rien dire, jamais… Ou bien, est-ce une épreuve à mon amour, un piège ? … je vous aime… et l’écoute de votre cœur me manque… tellement… Je vous en prie, parlez-moi, un peu… parlez-moi… de vous, de nous… votre voix seule me manque, elle est devenue trop discrète, presque méconnue… C’est une prière… une supplique… un instant de bonheur devancé… demandé... Oh ! mon amour… j’aime vous regarder ; accordez-moi la parole, pour que je sois complet…
- Moi, j’aime vous écouter, prendre vos mots, les recueillir, les protéger… Comme vous vous nourrissez de mon visage, je me nourris de vos phrases… L’amour n’est-ce pas les mots et le silence – et le silence est ma part… Et quelle importance, si je ne parle pas ? Mes mots ne sont pas vie : ils parodient l’existence… Toujours je respire, simplement, comme une émotion. Et je me tais… Je contemple…
- Et comment pourrais-je ajouter quelque chose au monde. Ecrire et parler, c’est créer. Alors je me tais.- Pourtant, ils existent – mais je me refuse à exister en eux. Parfois, la nuit, ils imposent en moi leur puissance. Forts et oppressants, ils me rongent… et me laissent morte d’inanition au matin. Je les laisse à leur sort, je les éparpille en sons, en gémissements. Que je pleure ou que je cris, cela n’a aucune importance : je n’existe pas en eux… C’est ainsi que je les trompe : jamais ils ne me trahissent, ne dévoilent ce que je possède, ce que je suis. Vous parler est déjà trop…

J’ai pleuré sur vos genoux, dans vos bras, vous vous êtes perdu dans mes cheveux, ce jour là… Oui, nous nous aimions.

***

Comment séparer deux chairs éprises ? Comment frustrer la destiné du bonheur, pervertir son chemin vers mon droit légitime sur vous. La simplicité d’aimer m’a été enlevé, ce fut justice de séparer ce qui me revenait de droit.
Avez-vous jamais su quelle douleur était la mienne ? Avez-vous jamais consentit à écouter mon cœur ?
A force de temps, ma voix est devenue frauduleuse, rien ne s’échappe de sa prison. Je suis devenue trop frustrée d’amour pour aimer. J’ai trop attendu, tout simplement, pour espérer le vivre jamais. Je n’avais plus ce courage, le courage d’avoir ces gestes attentionnés, le courage de me révéler, d’aimer et d’attendre.

***

Oh ! Matthieu, j’ai si souvent parlé au vent…
La pluie commençait, discrète, par quelques gouttes pudiques, et finissait averse… je parlais… doucement, je basculais en prière, à genoux, si près de vous. Oh ! Matthieu ! il pleuvait si fort que les gouttes formaient autour de moi des rideaux de solitude. Je marchais au bord de l’eau, si proche que je failli me noyer, si proche que mes yeux se sont perdus à vous attendre… Vous étiez à mes côtés, les yeux vierges d’espoir, accueillants… avec sur moi ce reste de dignité… Enfin lavée de mes propres lâchetés… de mes propres fêlures… je parlais. Je vous parlais, à vous, à la pluie, aux éléments, à ma solitude… J’ai tant récité les prières incomplètes… Je fus comédienne, libertine, belle… amoureuse… Mais je restreins mon existence. Et pourtant, j’osais me découvrir… Presque complète, j’osais vous répondre… Seule, j’osais vous parler… de nous… … Seule, je vous confessais mon amour.

***

Que vous ai-je aimé plus, vous, qui vous lassez de mon amour… encore plus… Oh ! mon cœur, mon ami, mon amant… Vous regarder emplit mon âme d’un bonheur inaccessible… d’amour… du respect de notre amour… Oh ! pourquoi ne suis-je pas libre de mon orgueil… à vous ouvrir mon cœur… ma vérité… mon bonheur… Que n’ai-je pas exprimé mon bonheur de nos instants fragiles… Suis-je si lâche de ne pas savoir vous aimer… vous répondre, vous prendre, et vous donner… ?

Oh ! mon cœur, mon ami, mon amant… Vous écouter me donne le souffle d’exister, plus loin… au-delà de mes peurs, et de moi-même… Je vous aime… J’ose, je vous aime… Je vous aime… Simplement belle dans vos yeux, je vous aime… Heureuse à votre regard, je vous aime… Au-delà de mes incertitudes, je vous aime… Dans ma prière, je t’aime… Je t’aime Matthieu… Je t’aime…
Au lit de ton sommeil, je t’aime
Mes paupières détachées, je t’aime
Ma joie et mon envie, je t’aime
Quand nos nuits élèvent nos mains, touchent l’instant de nos retrouvailles, de notre découverte… je t’aime
Je t’aime goûter mes mains, et ton regard… rassure ma vie… Prends mon rêve, prends-moi… Donnes-moi à croire en toi,
Donnes-moi ce courage de nous aimer…

Oui… le courage d’aimer, tout doucement, simple et amoureuse… intime… avait disparu…

***

Jamais je n’ai mentis. Jamais, je n’ai promis les incertitudes de l’amour, le mensonge des toujours. Pourtant, mon oreille voyeuse grava dans mon cœur vos mirages.
Enlacés, emmitouflés dans l’hiver pâle, protégés par les cyprès, dans un labyrinthe de verdure éternel, vous avez promis. Elle, rieuse et sérieuse, réclama la fidélité, la vérité.

***

- Promets-moi… promets-moi la fidélité, la fidélité de tes yeux, de ton corps et de tes caresses, entières… et de tes baisers… »
- Je te le promets…
- Promets-moi de t’oublier toi-même, d’oublier les femmes… et les formes des femmes : d’être à moi, dans ma peau, dans mes seins, de n’exister que dans mes reins, de ne faire qu’un avec mes yeux, avec mes silences et avec tes mots…
- Tout cela je te le donne et bien plus encore…
- Promets-moi encore… Promets-moi ton âme, ton corps, tes pensées, ta force… Tout cela et plus encore : l’avenir, sans aucunes miettes pour quiconque… Respectes-moi. Matthieu, tient la promesse de tes yeux.

Elle effleura un baiser, un doigt sur vos lèvres

- Que peux-tu me promettre que tu ne m'aies déjà donné ?
- Promets-moi d’être heureuse, de veiller sur notre amour, d’être la vigilance de notre amour. Promets-moi l’indicible de tes silences et d’emprisonner mes yeux de ta beauté, toujours… Promets-moi tes souvenirs aussi… bien plus encore, promets-moi un enfant qui te ressemble, une petite fille qui te ressemble… rousse, fine et intelligente, joyeuse et réservée, que je puisse border de notre amour tous les jours de notre vie… et embrasser tout plein partout… si belle de nous, que je pourrais la consoler de ma vie… si belle, qu’elle donnerait un sens à notre amour… Promets de tes yeux, de nous aimer plus que… que notre amour passera le temps, pleinement… et d’exister en notre amour, seulement… de me reconquérir si je me perds… plus encore que nous même… Mais nous parlons trop…

Tout à la fois tendre et charnel, hésitant, une flamme inaccessible, un résumé de votre amour, une anticipation lointaine, si long, si plein, empli de vous, vous vous êtes embrassés. Je suis morte dans ce baiser.

***

J’ai prié, moi qui ne crois pas, j’ai prié.
L’église était offerte à l’épanchement, propice à la sobriété, isolée, noyée de soleil. Digne, sans autre effusion que mes larmes, tête basse, j’ai prié, sur vous, et moi, dans notre intimité.

Pardonnez-moi, mon Père, parce que j'ai péché…
Mon Père... mon Père, je le trompe... La nuit, je souffle... je m'échappe : mes mains me frôlent et mes seins s'affermissent, durs, encore si fermes. Mon Père, je me donne ce qu'il oublie, loin de lui, je frémis à mes doigts... J'envie... je veux… je veux la morsure de la jeunesse, leurs corps finis de plénitude. Et crier, oui ! crier ma tendresse : en elle griffer, éructer, sortir de mon ventre de femme ces gémissements... les gémissements d’hier… et ne plus respirer, d'extase...
- Mon Père, Bon Père, son absence de contrôle, la rugosité de sa peau... son odeur émaciée, ses gestes : je ne les supporte plus... vivre loin de son mirage... Que puis-je lui donner ? Que puis-je faire ? Je mens. Mon Père, le temps a alourdi notre amour…
Son regard même est triste. Il ne dit rien, se ferme ; sa respiration le trahit. Je sais qu'il n'a rien à prendre en moi, rien... ... d'ébouriffant. Après l'amour, il se retourne, seul, alourdi, si peu dilué... son dos m'impose le mur de nos silences : je n'existe plus. Nous parler, nous viol. Alors par... par hygiène, nous nous taisons. Et je m'écoule, en boule.
Mon Père, mes vertèbres implosent, les draps... les choses restent seules nos compagnes. Et lui souffre, souffle, et pleure, aussi, je crois. Nos voix rendent nos cœurs stridents, et je brûle mon regard, mon Père... je brûle, de moi-même. Nous n’osons plus nous parler, nous revêtir de l’autre… nous aimer, tout simplement… Que puis-je faire ? Que faire ? J’ai perdu l’espoir d’aimer.

***

Mais, à quoi bon prier puisque vous ne me regardiez déjà plus : vos yeux étaient tout en elle. Mes souvenirs, mon amour, se sont évaporés loin de votre cœur. Ce fût la pire des tortures : de ne plus exister que dans votre amitié, attentive.
Oui, mon ami, en ce jour de février, mon esprit a tremblé. En ce jour si pure... translucide, elle respirait votre amour. A l’autre, vous n’étiez plus seul, à l’autre, vous n’étiez plus libre ou abandonné : l’aura de cet cœur vous transformait, gravait dans le temps mon malheur.
Oh ! Matthieu... Oh ! mon corps... Que pouvais-je faire ? si ce n’est m’arracher à ce délire. Matthieu, l’oublie de votre amour fût pire que le poison, et mon poison fût une relique de notre amour.

***

- Ma petite fille, jamais un homme écrivant ces mots ne peut aimer deux fois. Le partage et l’amour se cultivent ensemble. Les prémices de son amour n’appartiennent qu’à moi - je vous en laisse les restes…

Ces mots lus jusqu’à la mort, ces mots déclarant votre amour, que le premier amour serait pour toujours le mien, l’unique. Après, nous ne sommes plus vierge d’aimer. Elle était bien jeune pour croire à l’absolu, elle ne pu concevoir la pensée de vous partager, même dans des souvenirs.

***

- As-tu aimé, avant moi ? Oui. Tes yeux ne mentent pas : ils ne sont plus vierges… Mais… se sont-ils perdus d’amour, ont-ils tremblé d’émotion, plus loin que moi ? Plus loin que nous même ? Je suis jalouse… J’ai honte… fragile, j’ai honte… Mais… est-elle belle ? Enfin… plus belle que moi ? Sa peau, ses seins, ses jambes, son corps : en rêves-tu encore ? As-tu oublié son amour… votre amour, et vos instants fragiles ? Es-tu encore heureux dans son sourire ? Dans tes souvenirs ? Qu’est-ce qui s’est détaché pour m’aimer, aujourd’hui ? Et m’aimer : est-ce différent ? Es-tu libre d’elle, pour m’aimer… pour la première fois ? Oui, es-tu libre de m’aimer ? De nous rendre heureux ? De me donner des enfants ? Le temps efface-t-il l’amour ? Est-il toujours ainsi, ample et intime ? Embrasser, est-ce aimer, mon amour ? Est-ce aimer ?

***

Mon amour, je rêve dans le peu de mes sommeils à cette nuit oubliée où nous nous sommes retrouvés, dans l’intimité de nos cœurs, de nos esprits, au-delà de nos propres corps, un unique instant de sincérité.
Concentré à la seule lueur d’une bougie, vous écriviez, la cheminée exhalait l’unique mouvement, l’unique instant de vie d’une pièce trop ordonnée.
Moi, je ne dors pas. Les yeux fixés sur la tenture, je suffoque légèrement, je me calme pourtant, ferme les yeux.
Je me lève, me couvre d’une faible couverture : je tremble. Sous mes pieds nus, mes pas hésitants froissent le plancher, vers vous.
Sans quelque attention de votre part, je vous entoure de mes bras, tout bas…

- Mon amour… Mon amour… aimez-moi, mon amour… maintenant… Prenez-moi… Aimez-moi… Aimez-moi comme lorsque vous m’aimiez… Donnez-moi du plaisir et le bonheur ensuite… L’amertume du corps, le sel et la moiteur du désir… Donnez-moi les caresses placées des amoureux, le baiser de votre langue sur mes seins, l’avenir et le passé… l’oublie, Matthieu, l’extase de votre amour… L’oublie, comme avant… comme lorsque vous m’aimiez…
Je glisse à vos genoux…
- Je suis fatiguée, je n’en peux plus d’espérer encore votre amour… encore d’aimer… et le temps ride notre amour en plus de notre jeunesse… J’attends… J’attends que vous m’aimiez maintenant… comme avant… comme lorsque vous m’aimiez… Je vous attends… J’attends.

Vos doigts effleurent mes cheveux ; timides, ils n’osent pas encore être émus, et se courbent pourtant, se perdent de baisers dans ma chevelure…

- Mathilde… comme je vous aime… je vous aime… et comme j’ai oublié de vous le dire… Je vous ai oublié… dans la pudeur, nous nous sommes perdus… Je suis devenu égoïste… égoïste et pudique… Je vous aime… Je vous aime… Je vous aime je vous aime… Je vous aime, Mathilde… Simplement…

***

Vouliez-vous plus que je ne pouvais donner ? Des mots… seuls quelques mots auraient-ils pu vous reconquérir ? Un amour perdu, sauvé par de simples syllabes : quelle injustice pathétique, lamentable, misérable ! Mon amour défiait ceux, tristes, que vous me réclamiez, défiait votre raison et mes belles assurances. Concédez moi le privilège de vous aimer. Ma vie n’aurait-elle pas été vaine, sans vous ?
Une simple promenade, une simple phrase refusée, délièrent-elles votre amour au point qu’il n’y eut plus de guérison ? Je fus volage sur vos sentiments, égoïste réfugiée d’une mélancolie que je croyais éthérée, sincère. Mais l’encre d’aujourd’hui ne peut effacer les mots funambules, d’hier.

***

- Croyez-vous m’avoir séduit, un jour ?
- Pardon…
- Oui, croyez-vous m’avoir abusé par vos mots doux et votre tendresse supposée ?
- C’est une étrange question qui vous ressemble.
- Répondez, je vous prie.
- Les mots et mon cœur ne font qu’un. Je ne cherche nullement à vous séduire mais à vous aimer. Mots que d’ailleurs vous ne me dites pas…
- Assez de vos longues phrases ! A dire vrai, elles sont pauvres. Votre cœur se devine à peine derrière elles ; ou alors, bien trop.
- Ne vous ai-je jamais envoûté ? N’avez-vous jamais ressentie mes caresses dans votre cœur ? Les mots sont les caresses de l’âme : ils donnent à aimer. C’est notre seul lien avec la réalité, un murmure dans notre solitude…
- C’est une extase mythique.

Vous avez prie ma main, mes doigts guidés par vos doigts sur le chemin de mes yeux, de mon nez… mes joues, le front, les lèvres et les cheveux…

- Fermez les yeux… je vous aime… votre esprit se vide, je vous aime… Je vous aime… Je vous aime… Je vous aime… Je vous aime… Mon amour… Notre amour chaque seconde à venir pense à sourire, doute et paresse… Je vous aime… Ma main s’ennuie, s’agrippe à votre regard, à votre voix qui s’esquisse, liée et déliée comme un dessin sur ma vie… à nos ébauches de rencontres, je vous aime…
Votre voix et votre vie,
Vos doutes et vos reins je vous aime
La douce extrémité de vos seins je vous aime
le bout de vos heures, le bout de vos peurs je vous aime
le temps et les rêves qui s’attendrissent à vous attendre je vous aime
Oui, à l’oreiller de notre vie je vous aime
Mon amour… imagine, rêve… rêve à la paupière détachée, où la joie et l’envie seraient ensemble drapées… où nos nuits élèvent nos mains, et touche l’instant de nos retrouvailles, de notre découverte…
Mon amour, nous nous aimons…
- Vous parlez trop. Je fatigue.

Et votre charme se rompit, un recul.

- Moi aussi : de vos silences, de vos phrases qui détruisent nos instants fragiles. Je suis fatigué de votre froideur. Je vous donne et vous ne me répondez pas. Jamais. Etes-vous vierge de tous sentiments ?
« Et ridicule, aussi. Auriez-vous oublié notre pacte, Matthieu ? Que je vous en rappelle les armes : L’amour peut-être, mais le plaisir avant tout. Nous ne sommes liés qu’ainsi. La performance, voilà notre contrat. Vous m’aimez, et je jouie. Vous négligez depuis trop longtemps nos affaires. Aujourd’hui, je m’exécute plus que je ne jouie.
- M’aimez-vous ?
- Dois-je vous répondre ? Avez-vous besoin de mots, d’un mensonge, pour exister ?
- Oui. Je suis faible et je les attends.
- Je vous les refuse pourtant, parce que vous doutez.
- Je ne peux douter ce que je ne conçois pas. Ce que je ne ressens pas.
- Vous raisonnez, trop. Vous cherchez les mots et non le cœur.
- M’aimez-vous ?
- Jamais… des mots…
- Mais rien ne s’échappe de votre cœur. Ni gestes, ni attentions : rien que du vent.
- Des mots, du vent. A peine décoiffée, nous les oublions. Prenez ce baiser comme la réponse à notre histoire…

… le long de mes jambes, de mes voiles, à mes genoux, le visage cerclé de pleurs, de mes mains…

Femme,
Vous suis-je digne ?
Nu ainsi de cœur et de pensées, fébrile ?
Vous sont-elles fidèles ?
Dites, je vous en supplie, aimer… je vous aime… une fois…

Les yeux penchés, je vous ai aimé, embrassé si tendrement que j’ai cru lors d’un instant, un instant seulement, à notre amour. Sans un mot, vous vous êtes perdu dans ma solitude. Je vous ai perdu. De ces mots refusés, je vous ai perdu.

***

Si mon sein droit se réchauffe encore aux premiers mots d’amour, le gauche meurt peu à peu de votre rupture.

Mathilde,
Notre pacte m’impose les armes d’une rupture. Le plaisir donné n’a pu infléchir votre bouche vers mon âme, et mon cœur s’est une dernière fois gelé à vos larmes, silencieuses.
« Cet amour n’est aujourd’hui qu’une larme évaporée, le dernier espoir d’entendre ces mots qui manquent à notre histoire est vain. Je me suis résolu à le quitter tout à fait, il y a bien longtemps.
« Il me semble pourtant que nous devons une dernière sollicitude à nos bras – à nos performances…
A défaut de sentiments, c’est à l’amour sans passion que nous rompons de corps.

Soit, mon ami, je me rends à votre infidélité. La liberté d’aimer que vous me réclamez, je vous la concède comme un souvenir nostalgique de moments agréables. Mais à tout prendre, ai-je eu tord de ne pas vous aimer trop, ni même d’espérer en vous une quelconque éternité ?

***

Mon ami, j’ai pansé notre amour au dialogue parallèle, à l’épilogue de notre histoire, si près de nos déchirures. Mes incertitudes, mes doutes, selon vos vœux, se sont meurtris vers cette liberté, une amitié bienveillante.

- Je suis vide depuis que vous me négligez. Je suis devenue vieille... Déjà, je m’observe vieillir... Longuement, j’ai vu sous mon visage poindre la vieillesse. Mes rides se dessinent ; elles préparent leurs chemins, s’habillent en moi. Bientôt, elles seront prêtes à m’immerger tout à fait. Elles précèdent ma perte.
- Mais ce sont ces rides à venir qui séduisent - et votre beauté malgré elles. Vous êtes belle, Marquise... belle... Mais votre cœur est clos. Votre indifférence est une muraille que je me suis épuisé à gravir. Je me suis lassé.
- Mais l’amour jamais ne se lasse.
- Qu’attendez-vous de moi ?
- Le cœur des hommes et des femmes est identique : seule l’approche diffère quelque peu. Et encore ne faut-il pas aller bien loin dans l’analyse. Nous recherchons tous, mon ami, la simple attention d’une âme considérée comme plus élevée. Le cœur cherche toujours à exister indépendamment de l’esprit - au-delà de la raison. Notre capacité à nous faire aimer est égale à notre propension à mentir. « Je t’aime », « je vous aime »... tous ces mots nous impliquent plus qu’il nous ait humainement possible de donner. Ils engagent notre mort. Et nous mentons. Nous mentons, car jamais nous ne donnerons notre vie pour une âme qu’en définitif nous remplacerons un jour ou l’autre. Et ce n’est que par orgueil que meurent les amants. Leur désir d’être déifié en martyr sanctifie, chez les faibles d’esprit, leur amour en de stériles souvenirs. Ils deviennent égoïstes d’aimer leur destin plus que leur vie... Alors, seul le plaisir reste comme vérité.
- L’amour et le plaisir ne font qu’un ; vous vous trompez à les séparer.
- Ne vous fiez pas à ce que vous croyez.
- Je crois que nous nous sommes mentis trop longtemps, vous et moi, et à nous même, pour jamais pouvoir nous aimer. Une seule nuit de sincérité, c’est bien peu… Nous avons espéré - mais nous nous sommes mentis. Et seule l’amitié nous est encore accessible, et non l’amour, presque par malentendu...
- Sans doute avez-vous raison ; je capitule devant vos pauvres arguments. Mais bien loin de mes théories protectrices... Est-ce insensé que d’espérer vous oublier ? Je n’ai pas su vous aimer, soit. Je n’ai pas su vous retenir. Mais le passé est le passé et que m’importe l’avenir...
- En quoi puis-je vous aider ?
- Pour aimer - pour tenter d’aimer à nouveaux, il me faut me libérer de vous. Etes-vous libre de mon amour, de nos souvenirs et de nos instants de bonheur, Matthieu ? Etes-vous libre de moi ?
- Oui.
- Alors je le suis également.
- N’est-ce pas trop simple ?
- N’avez-vous pas les mots, aujourd’hui, qui donnent le souffle d’aimer à nouveau ? Mais, je n’imaginais pas que vous me remplaciez si vite. A moins que vous ne m’aimiez plus longtemps avant notre rupture de corps. Vous m’honoriez alors de votre présence plus par affection que par amour. Votre lâcheté en est-elle moins haïssable ? Et pourtant, je ne la regrette pas…
- J’ai besoin de l’entendre, une fois encore… Vous ne m’aimez plus. Est-ce trop simple ?
- Mathilde, le temps érode tout en ce monde – même l’amour, même le grand amour, et nos plus belles espérances. C’est successivement que le temps nous fatigue, par de petites touches sans importance, mais en définitive, lourdes, denses. Le temps égraine l’amour comme une bigote son chapelet ; il nous impose mille secondes pour milles astuces, milles petites secondes pour détruire. Les mots refusés n’en furent que plus douloureux. Le fil des lames et le fil du temps ne font qu’un, Marquise… ne font qu’un… Détruire un amour, c’est dissoudre l’intimité de notre être. Par pudeur, vous avez fait cela en moi.

***

Mon amour, je vous sais perdu, mais cette lettre est pour moi plus une mélancolie qu’un espoir. Votre amitié me pèse pourtant – plus que tout, plus que ces murs, ma fin inéluctable, elle m’asphyxie. Je suis amoureuse, et je meurs, amoureuse… un souvenir, une image si précise, lucide d’un mensonge improbable, un prétexte pour vivre encore, loin de vous.

Mais déjà, la charrette s’avance, difficilement, élargissant la foule devenue dense – incestueuse : injuriante. Coquette jusqu’à l’absurde, le maquillage comme un voile de sainteté, je m’espère digne, hautaine, rectiligne. Ma lecture conjure le bruit des femmes haletantes. Vos restes de mots, la voix disséquée, collent à mes dents, claquent, s’envolent dans le soleil de leur obscénité. Elles crient, sans défense, pleurent sans conscience, rient de mes défaites, comme pour mieux cracher leurs lèvres trop courtes, et dissimuler leurs seins qui ne frémissent plus, si peu usés par la langue des hommes. Inviolées, leur cage est leur corps, et l’amour, l’exécution, un artifice de guillotine.
Je lis, inlassablement notre histoire.

Seule, avec pour unique trace votre voix en souvenir, je m’élève sous les quolibets vers sa potence.

***

C’est beau, la nuque d’une femme.
C’est une sensualité cachée, dissimulée aux regards des autres femmes, des hommes insensibles… C’est doux, chaleureux comme une offrande, foisonnant comme l’amour, libre et discret comme la débauche…
C’est beau la nuque d’une femme… sexe du visage, si timide, si pudique, impudique lien réservé du corps et de l’esprit, liberté de la conscience, de l’austérité, ses cheveux éparpillés, mutins, timides… des cheveux libres qui nous invitent à revenir en pluie, au désir qui s’offre, au baiser, à la caresse certaine, animale.
C’est beau la nuque d’une femme, Matthieu, quand elle tombe dans le silence, c’est la chaleur rattrapée… quand le métal délie le cou, coupe, c’est une insulte à la beauté… si belle, si cruelle que l’on crie «bis ! » comme lorsque l’on jouit.

***

Mais que suis-je morte en trophée expiatoire, tête glorieuse exhibée à la seule vengeance d’une catin… pure et belle catin… à ceux-là, qui n’oseront plus me maudire… l’insulte, l’invective est rassurante… affermit la certitude de vivre, un souffle plus loin… mais ils ne sont pas plus vivants que moi je meurs… dérisoire de lâcheté, mon sang leur appartient désormais… même l’horreur est puritaine, mon amour… j’ose, mon amour, et je meurs… ah ! si je pouvais vous écrire… encore vous écrire, mieux vous écrire, mon amour… et je meurs encore… de n’avoir su vous le dire… Je vous aime… Je vous aime…
Je ne suis pas seulement amoureuse comme d’autres courent après la vérité, non, je suis un ange affublé de sons, de ta voix, mon amour, de tes lambeaux d’amour. Pour toi, je me répand en libation, je me disperse en sacrifice de sainteté à ton amour.

Pour toi, je meurs aujourd’hui, demain.

Moi aussi, j’ai aimé... puissamment, fébrile...

Oui, je vous aime, avec ardeur et sang.



2 commentaires:

Anonyme a dit…

Ca sent le vécu tout ça. Le vécu inutile ?

Mélancolie.

Michel a dit…

"Le vécu inutile ?"
Comprend pas ???? Développe.