Ils se sont fait la belle - Parrains & Caïd II
J'ai lu lors de sa parution le précédent livre de Frédéric Ploquin, Parrains & Caïd, considéré comme le Who's Who du grand banditisme Français, et qu'on pourrait titrer également : Ce Milieu qui nous entoure. Même si j'avais regretté, à sa lecture, une surexposition des braqueurs de fourgons et (paradoxalement) la sous représentation du trafic de drogue, son ouvrage se révélait un document puissant, et sans doute exhaustif. (Le sous-titre du livre était : La France du grand banditisme dans l'oeil de la PJ - ceci expliquant sans doute cela...)
Notre journaliste à Marianne nous prodigue ici son nouvel opus, traçant son sillon, exploitant son filon, suis-je tenté d'écrire, avec un brin de mauvaise foi, mais quand même. Parce que : quelle déception !
Présentation de l'éditeur, Fayard : "Un tour de France inédit des «belles» les plus folles, les plus cocasses, les plus dures, les plus kamikazes, les plus sportives, les plus rusées, les plus fraternelles, les plus aériennes et les plus amoureuses de ces trente dernières années." C'est effectivement une longue litanie, parfois intéressante, souvent fastidieuse, des "plus belles évasions", de celui fiché au grand banditisme - plusieurs pages - au simple escroc - un paragraphe ou deux, tout au plus. Bref, un recensement, présenté comme novateur, mais sans grand intérêt - j'aimerai d'ailleurs qu'on m'explique où, justement, il réside, l'intérêt. Après ce sera : Les braquages les plus fous ou La folle histoire des machines à sous (remarquez, il y en aurait des choses à raconter là dessus...)
J'avais parfois le désagréable sentiment d'une succession de notes, qui, ressorties du placard, furent classées puis compilées pour en faire un livre, livré avec en bonus des avant-propos - que ce soit pour l'ouvrage, en général, ou en introduction de chapitre. Ces introductions sont d'ailleurs ce qu'il y a de plus passionnant, parce que l'auteur va un peu plus loin que : 'ils ont détourné un hélico' ou 'il s'est enfui en sortant les poubelles de la prison'. Elles donnent, paradoxalement, un peu de chair à tout çà. Pour preuves : les récits ne concernent (presque) pas des cavales et le texte le plus fort est cet extrait d'un courrier de détenu, mis en exergue au tout début du livre :
"Dans le milieu, comme dans tous les milieux, il a de tout. Et même des sales mecs, et même des mecs exceptionnels. Mais, comme c'est un monde violent, ça se remarque plus. Les voyous haïssent les lois, les contraites, tout ce qui peut entraver leur sens de la liberté. Ce sont des mecs qui marchent à l'affectif. Et c'est pourquoi, s'ils sont aussi capables de remplir une tête de balles de 11,43, ils sont capables d'aller arracher un mec en prison au risque de leur vie, sans le moindre calcul. (...) Et pour ça, comme pour braquer une Brink's ou un dépôt de fonds, ils faut des couilles en béton."
Ou alors, mon reproche, ce manque d'un je-ne-sais-quoi, peut se résumer dans cette citation de William Styron (cité par Pierre Assouline dans ce post) :
"Un écrivain peut, si son art est assez fort, faire passer à travers la fiction certaines intuitions importantes, une certaine vision intuitive, un certain savoir sur la vie de ses contemporains, ou l’histoire, qui est le sien propre… et non pas celui de l’historien professionnel, du sociologue ou du commentateur académique. En fait, si on met assez de métier, de passion et d’intelligence dans la création d’un roman, on peut vraiment crée un mini-univers qui peut être bien plus convaincant, voire plus vrai, que les instructions des érudits. Et si on était fidèle à sa vision des choses, totalement libre de son imagination tout en trahissant jamais l’exactitude historique, on pourrait éclairer le monde des camps de concentration nazis ou de l’esclavage des Noirs de façon unique, qui force l’attention et la compréhension mieux qu’aucune documentation ne le fera jamais."
De la différence entre les documents et Romanzo Criminale.