J’ai toujours ressenti l’expression de soi dans l’art comme un non sens.
L’important n’est pas l’expression mais la transmission. La volonté, l’ambition ultime n’est pas de monter ce que nous sommes ou de l’exprimer, encore moins de démontrer quoi que ce soit - mais d’écrire physiquement dans le cœur du lecteur, du spectateur, de l’autre, en face, dans sa personnalité même, dans son affect, son cerveau, son âme, au plus profond de ses propres reins… une émotion, une pensée, qui peut-être le changera, un peu, qui, peut-être, participera à sa vie… et l’aidera à vivre un peu plus, un peu plus loin. Toutes les techniques, toute la cuisine interne, ce long travail patient et acharné, répond à disparaître. Pour donner à exister un peu plus.
L’important n’est pas ce qui est écrit, mais ce qui ne l’est pas. En fait, tout ce qui existe concrètement vise à cela, au-delà des mots, des images, d'un médium vers l’immatériel.
Bien sur, le principal risque est de devenir abscond, abstrait, absurde. Un risque, certes – mais tout est question d’équilibre, de talent. Et cela n’enlève pas la vérité, au contraire, elle ajoute des contraintes, un stade supérieur à l’expression, qui vise à la transmission.
Jean Paulhan disait à Pauline Réage que la fin d’Histoire d’O ne lui convenait pas, que l'écrire ne servait à rien. En fait, la mort de O allait de soi, existait déjà dans l’esprit du lecteur – dés lors, pourquoi l’écrire ? Peut-être est-ce cela la qualité suprême : amener à... et puis laisser faire l'être...
C’est particulièrement flagrant dans les nouvelles d’Hemingway ou de Carver : est écrit ce moment particulièrement où tout bascule, le point d’inclination – après, le reste, l’avant, l’après… quel importance, au fond ?
J’ai revu Chinatown de Polanski cette semaine… Plus que l’histoire, la technique, la perfection, tout le film nous emmène à cette simple phrase : 'Laisse, Jack, c'est Chinatown'. Et que nous aussi nous devons vivre avec cela.
Voilà, le cycle intime s'est terminé aujourd'hui- et c'est marrant que cela tombre avec une fin d'année, qui elle-même se clos avec une fin de semaine... Un autre s'ouvre - mais vers où ?
vendredi 29 décembre 2006
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