Savoir lire : c’est plus fondamental, tout aussi primordial que l’écriture. C’est l’essence même de toute ambition. Ca précède, ça vient avant le premier mot. Même si c’est une notion négligée, voire oubliée.
Trop axé sur soi, tout à sa délivrance de ne plus désirer le regard des autres, de ne plus le redouter, tout à sa prétention de s’assumer, il arrive un moment où l’on se jette, où l’on s’expose, enfin, au monde : on écrit, on se publie, on se fait lire. On ose.
Et pourtant, on ne s’oublie pas assez pour travailler vraiment. Alors, lire, ouvre les possibles – nous donne un legs : le reste n’a que peu d’importance et s’exporte, se transporte sur le travail, par le travail, sur la feuille. Lire nous apprend à vivre avec notre propre médiocrité.
Savoir lire, c’est chercher l’étonnant, ce qui éclaire notre intimité, ce qui reste en filagramme, ce qui se densifie, l’angle, le détour, l’à-côté, tout ce qui exprime réellement et dans sa vérité le monde des Hommes. Lire, c’est se poser des questions - et y répondre. Savoir lire, c’est être curieux, édifier des ponts entre nous et les idées, et les idées entre-elles - les livres entre eux. C’est créer sa bibliothèque – c’est l’édifier en un seul et unique ouvrage. Alors, elle devient peu à peu une extension de nous-mêmes, une création, un objet vivant, une expression.
Et puis, si le talent, la chance, le lecteur, l’autre ne nous suit pas, n’existe pas, reste confidentiel au bon vouloir de nos amis, il nous reste le souvenir et la construction patiente et acharnée de notre esprit, le bonheur d’avoir remplit jusqu’à plus soif notre corps, sans nous ennuyer et dans un incroyable espoir, dans ce mensonge : exister.